dimanche 7 mars 2010

Occiz par justice



Vichy, vue du lieu-dit "les Justices" (Cusset)


Si d'aventure un beau matin d'été
En cet endroit la fortune vous porte,
Que le ciel bleu vous offre sa beauté
Et le zéphyr sa turbulente escorte,
Souvenez-vous passants ivres d'air frais,
Qu'au paravant, ici-même, on tuait!
Nous sommes là, dans ce recoin ombreux,
Au pied du mur en ruine, misérables
Comme de vieux vagabonds ténébreux.
Nous ne croyions ni à Dieu ni à Diable.

C'est le prévôt qui nous appréhenda
Dans cette rue obscure, tout là-bas,
Acompagné de deux ou trois soldats,
Mille ans plus tôt -trois mille pieds plus bas.
C'est le bourreau qui fit de nous, ô hommes
Bienheureux! ce qu'aujourd'hui nous sommes;
Mais c'est le peuple -ordinaire refuge
Des chenapans, qui, de cris effroyables,
Nous condamna tout autant que le juge:
Nous ne croyions ni à Dieu ni à Diable!

Si d'aventure en ce matin d'été
Il vous prenait l'envie, passants d'un jour,
De plaindre un peu nos âmes tourmentées
Vouées jadis à errer pour toujours,
Sachez le bien avant que d'être morts:
Nous n'aurions pas pleuré sur votre sort.
Aucun remord. Ou plutôt si. Un seul.
Celui des joueurs perdants, qui, pitoyables,
Auraient aimé de l'or dans leurs linceuls:
Nous ne croyions ni à Dieu ni à Diable.

Lors, voyageurs, avant de repartir,
Priez le Ciel que cet affreux martyre
-Punition d'un geste abominable,
Soit occasion -enfin! de repentir:
Nous ne croyons ni à Dieu ni à Diable.

In memoriam François Villon