vendredi 26 février 2010

Chenilles qui nous dévorent

"Comme ces laboureurs, dont les mains inutiles
Laissent pendre l'hiver un toufeau de chenilles
Dans une feuille sèche au faîte d'un pommier;
Si tôt que le soleil de son rayon premier
A la feuille échauffée, et qu'elle est arrosée
Par deux ou par trois fois d'une tendre rosée,
Le venin, qui semblait par l'hiver consumé,
En chenilles soudain apparaît animé,
Qui tombent de la feuille et rampent à grand'peine
D'un dos entre-cassé au milieu de la plaine;
L'une monte en un chêne et l'autre en un ormeau,
Et toujours en mangeant se traînent au coupeau.
Puis descendent à terre et tellement se paissent
Qu'une seule verdure en la terre ne laissent.
Alors le laboureur, voyant son champ gâté,
Lamente pour néant qu'il ne s'était hâté
D'étouffer de bonne heure une telle semence ;
Il voit que c'est sa faute et s'en donne l'offense:
Ainsi lorsque mes rois aux guerres s'efforçaient,
Toutes en un monceau ces chenilles croissaient!
Si qu'en moins de trois mois telle tourbe enragée
Sur moi s'est épandue, et m'a toute mangée..."

Pierre de Ronsard, Discours des misères de ce temps à la reine Catherine de Médicis, vers 335 à 356