mardi 13 juillet 2010
Serena en mer ante
John William Waterhouse, The Siren
"Serena en mer ante, cuntre tempeste cante,
E plure en bel tens, itels est sis talens;
E de femme ad faiture entresque la ceinture,
E les pez de falcun e cue de peissun.
Quant se volt dejuer, dunc chante alt e cler.
Si dunc l'ot notuners ki naiant vat par mers,
La nef met en ubli, senes est endormi.
Aiez en remembrance, ceo est signefiance.
Sereines ki sunt? Richeises sunt del mund.
La mer mustre cest mund, la nef: gent ki i sunt,
E l'aneme est notuner, e la nef: cors, que dait nager.
Sacez maintes faiez funt li riche ki sunt el mund
L'anme el cors pecher - ceo est nef e notuner -
L'amne en pechet dormir, ensurquetut perir.
Les richeises del munt mult grant merveil funt,
Esparolent e volent, par pez prennent, e noent ;
Par ceo del falcun les sereines peignum.
Li riches hom parole, de lui la fame vole,
E les poveres destreint, e noe quant le faint.
Sereine est de itel estre, qu'il cante en tempeste;
Ceo fait richeise el mund, quant riche hom ceo funt.
Ceo est canter en tempestes quant riches est sis maistres
Que hum pur li se pent e ocit à turement.
La Sereine en bel tens plure et plaint tut tens;
Quant hume dune richeise et pur Deu la depreise,
Lores est bel ore, e la richeise plure.
Sacez ceo signefie richeise en ceste vie.
"La sirène hante la mer, elle chante dans la tempête,
Et pleure pendant le beau temps, tel est son instinct.
Elle a la forme d’une femme jusqu'à la ceinture
Et les pieds de faucon, et la queue de poisson.
Quand elle veut se réjouir, elle chante haut et clair.
Si alors le nautonier qui navigue sur la mer l'entend,
Il met en oubli son vaisseau, bientôt il est endormi.
Gardez-en la mémoire, ceci est un enseignement
Que sont les sirènes ? Ce sont les richesses de ce monde.
La mer représente ce monde, la nef les hommes qui y sont.
Le nautonier c’est l’âme ; la nef qui vogue, c’est le corps.
Sachez donc que mainte fois les riches de ce monde font
Pécher l’âme dans le corps, -le nautonier dans la nef,
L’âme dormir en son péché et par suite périr.
Les richesses terrestres opèrent de grandes merveilles ;
Elles parlent, elles volent, elles prennent par les pieds, elles noient.
C’est pourquoi nous peignons les sirènes avec des pieds de faucon.
L’homme riche parle ; autour de lui se répand sa renommée;
Il opprime les pauvres; il les noie, quand il les fascine.
La sirène est de telle nature qu'elle chante dans la tempête.
Ainsi fait la richesse au monde, ainsi font les riches hommes;
C’est chanter dans la tempête, quand un riche est tellement maître
Que pour lui on se pend ou on se tue de désespoir.
La sirène pleure et se plaint toujours pendant le beau temps:
Quand on répand ses trésors et que pour Dieu on les méprise,
Alors le ciel est serein et la richesse pleure.
La sirène, sachez-le bien, signifie donc richesse en cette vie."
Philippe de Thaun, La Sirène –extrait de son « Bestiaire » dédié à la reine Adélaïde de Louvain, épouse d’Henri 1er d’Angleterre.
(The siren haunts the sea, she sings in the tempest,
And cries by fine weather, such is her instinct.
She is woman-shaped right-up to the waist,
Has falcon feet, and the tail of a fish.
When she wants to enjoy herself, she sings with a clear and high voice.
If the navigator who sails the seas hears her,
He forgets his ship, and soon afterwards falls asleep.
Keep that in your memory : that is a lesson.
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